UNE CITATION : HECTOR : On ne se penche pas. D'autres vous attendent. D'autres avec leur écume et leurs regards de haine. D'autres pleins de famille, d'olives, de paix.
ANDROMAQUE : Alors on les tue ?
HECTOR : On les tue. C'est la guerre.
ANDROMAQUE : Tous, on les tue ?
HECTOR : Cette fois nous les avons tués tous. À dessein. Parce que leur peuple était vraiment la race de la guerre, parce que c'est par lui que la guerre subsistait et se propageait en Asie.
UNE NOTE SUR 10 : 8.
TON AVIS : Pour ceux qui auraient oublié la mythologie grecque (et c'était mon cas), voici un bref résumé de ce qui amène à la guerre de Troie.
Le Troyen Pâris est désigné par la déesse Eris pour dire qui d'Aphrodite, d'Héra ou d'Athéna est la plus belle déesse. Sans trop de surprise, il décide qu'Aphrodite, elle est à tomber, et celle-ci, en récompense, lui offre la plus belle femme (dans le genre machiste, n'empêche, on peut difficilement trouver pire).
Seulement, pas de pot, la plus belle femme est déjà maquée : il s'agit d'Hélène, femme du roi grec Ménélas qui voit dans l'enlèvement de sa douce un affront et exige son retour au plus vite.
Seulement Pâris n'en démord pas.
Et c'est la guerre.
La guerre de Troie n'aura pas lieu raconte cet avant de la guerre, ce moment où, Troyens comme Grecs, sont emplis d'un désir de paix, de bonheur, d'insouciance peut-être et où le destin rigole bien dans son coin. Elle est une pièce pacifiste, à replacer dans son contexte d'avant-Seconde Guerre mondiale, et donc profondément bienveillante.
J'ai, il y a peu de temps, eu des envies de Grèce antique. De mythologie, de Dieux, d'histoires épiques, de monstres. Bercé par l'imagerie de l'extension
Theros du jeu
Magic the Gathering (dont je placerai çà et là des illustrations parce que je fais encore ce que je veux), par les vidéos de
C'est une autre histoire, par les
chœurs de Bertrand Cantat pour les
Femmes de Wajdi Mouawad, me rappelant la
Machine infernale de Jean Cocteau, ça m'a fait comme un choc (et je n'avais pas ressenti ça depuis un moment), alors j'ai acheté grec. L'
Iliade et l'
Odyssée d'Homère,
Onysos le furieux de Laurent Gaudé... et
La guerre de Troie n'aura pas lieu.
C'est donc avec ce gros biais de départ que je suis parti à l'assaut (ou du moins pas encore) de Troie. Une lecture dans l'ensemble sans surprise puisque je savais ce que j'allais y trouver mais pas dans un sens négatif, elle reste avant tout agréable et fraîche.
Je pense qu'elle peut être lue sous beaucoup d'angles différents. Dans la volonté pacifique du message, dans la critique également des guerres passées, complètement au détriment de l'humour qu'on ne retrouve d'ailleurs pas (à l'inverse de la
Machine infernale), et surtout dans la conception même du destin : inéluctable, implacable. Le choix est donné qui n'en est en fait pas un. Personne ne veut la guerre et pourtant elle arrivera, sans que personne ne s'y attende (ou du moins très peu de gens).
Je ne me vois pas vous faire le détail de tous les niveaux de lecture qu'on peut déceler. C'est une pièce qui est agréable mais qui, si ne vous attachez pas à son message profond, ne manquera pas à votre culture. C'est dans l'effort de recontextualisation qu'elle prend tous son sens, et encore davantage quand on essaie de comprendre la vie de son auteur. J'ai toujours été d'avis que l'art se doit d'être accessible à qui n'a pas la culture pour le comprendre, du moins pour l'analyser, et qu'il doit malgré tout
faire ressentir. S'il est vrai que cette pièce touche, je ne pense pas qu'elle puisse faire autant mouche si l'on ne la replace pas dans les circonstances historiques adéquates. Elle est d'ailleurs pleine d'anachronismes, tout autant de références directes à l'actualité de l'époque : les sommets, les conventions où se retrouvaient les chefs d'État, certaines personnalités politiques, certaines habitudes mondaines, etc. On ne peut dissocier le texte d'une volonté de réactualisation des mythes qui, apparemment, ne sont pas si éloignés des sujets brûlants des années 1930.
Mais bref, voici une anecdote qui m'a surpris, extraite de la préface :
« Et pourtant, au départ, le titre semblait mauvais : trop long, selon les conventions théâtrales pour être prononcé en entier, il était devenu, — tout comme
On ne badine pas avec l'amour de Musset abrégé en
Badine — pour les familiers de la troupe, « La guerre de Troie », et pour les acteurs principaux, « Troie » tout court. Sa connotation négative, surtout si l'on songe aux superstitions qui accompagnent habituellement les créations dans le monde du spectacle, ne risquait-elle pas de décourager les futurs spectateurs ? En tous cas, c'est pour une raison de ce genre — pour ne pas faire fuir le public — que Louis Jouvet avait déjà, en 1929, fait transformer un
Au secours ! de Marcel Achard en
Jean de la Lune. La formulation elle-même prêtait au quiproquo : « Donnez-moi deux billets pour le 13 décembre », aurait dit une cliente au bureau d'accueil de l'Athénée, « pour
La Guerre de Troie ». — «
La guerre de Troie n'aura pas lieu », complète l'employée. Mais la dame : « Eh bien tant pis, réservez-moi deux places pour le spectacle de remplacement. En Allemagne, ce fut pire.
Kein Krieg in Troja [note : « Pas de guerre dans Troie. »], premier titre de la traduction, était devenu plus littéralement
Der trojanische Krieg findet nicht statt [note : « La guerre de Troie n'a pas lieu. »]. Imprimée sur deux lignes de taille inégale, l'affiche, à l'entrée d'un théâtre du Bade-Wurtemberg, avait vidé la salle de ses spectateurs, persuadés — telle est la subtilité de la langue allemande » que la représentation était annulée [note : En allemand, le verbe
stattfinden — ici au présent et non au futur — s'emploie précisément pour les représentations, défilés, manifestations qui « ont lieu » ou non.].
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À QUI LA CONSEILLES-TU ? Elle peut être lue à tout âge mais, encore une fois, ce n'est qu'après avoir situé dans sa frise mentale les tension antérieure à la WW2 que l'on peut saisir la complexité du texte.