Depuis la sortie sur grand écran de l'adaptation de Tim Burton, on n'a jamais autant entendu parler d'Alice au pays des merveilles !
Si cette oeuvre particulière de Lewis Caroll a toujours été source d'inspiration, on ne peut nier qu'elle a été l'objet d'un intérêt recrudescent ces temps derniers avec plus ou moins de réussites.
Un matraquage médiatique qui m'horripile et aurait pu m'empêcher d'apprécier "Leçons du monde fluctuant" de Jérôme Noirez, fort heureusement il n'en a rien été.
Ce livre est parmi les plus inventifs et intéressants qu'il m'ait été donné de lire ces dernières années, un des plus déjantés également !Librement inspiré de la vie de Charles Ludwige Dodgson (le véritable nom de l'auteur de "De l'autre coté du miroir"), ce quatrième roman de Jérôme Noirez, édité au format poche par les éditions J'ai Lu, nous immerge en plein cœur d'une Angleterre Victorienne cauchemardesque. Dans cette uchronie, l'éducation et l'acquisition des connaissances sont devenus l'objet de guerre incroyables au sein de l'Empire britannique dirigé par La Grande Rectrice et même au-delà. Au moment ou débute l'histoire, le Saint Educaume, entend reprendre le contrôle des mondes de l'au delà !
Professeur au Christ Church College d’Oxford, Charles Dodgson se voit exiler dans une île de l'Océan indien.
Le mathématicien entretient avec de jeunes enfants des relations pour le moins équivoques. Sa préférence pour les petites filles ne fait aucun doute au travers les portraits photographiques qu'il effectue d'elles.
Touché lui-même par l'opprobre, le doyen Lidell (Alice était sans aucun doute le modèle préféré de l'enseignant bègue) appelle à son éviction après un ultime écart de comportement.
Jab Renwick est envoyé par les autorités morales et politiques anglaises afin d'enquêter et mettre fin aux comportements impies des défunts, représentants britanniques de la colonie, qui s'égarent de plus en plus dans le monde des morts des autochtones (le Lonkolong).
Le noir précepteur aux origines maléfiques rejoint l'expédition qui va mener les deux hommes à Novascholastica et au-delà à la rencontre de Kematia, une fillette morte dans des conditions horribles!
Difficile de ne pas s'intéresser à Lewis Caroll après avoir terminé la lecture de ce "Leçons des mondes fluctuants", ne serait ce que pour essayer de trier le vrai du faux.
Une entreprise qui nous éclaire sans aucun doute sur l'objectif de Jérôme Noirez qui, loin d'avoir tenté une entreprise autobiographique, a voulu en quelque sorte rendre Justice à Charles Ludwige Dodgson en réhabilitant ce contestataire subtil de son époque qui a vu son œuvre phare déformée par l'influence de Walt Disney !
Le roman n'est pas à proprement parlé une relecture d'Alice aux pays des merveilles, même s'il est difficile de ne pas voir les références dans certains passages.
Le bestiaire loufoque de Lonkolong (des animaux doués de la parole et d'un comportement humain) n'a rien à envier à ceux de l'univers onirique du livre en question.
On retrouve également le charme désuet de l'Angleterre Victorienne, des colonies, notamment au travers les nombreuses cérémonies du thé mises en scène ainsi que le nonsense figure stylistique dont Caroll était friand et qui dispense le lecteur de chercher une quelconque logique au récit !
Que ce soit du coté du duo Dodgson/ Renwick ou bien de celui de Kematia qui parcourt l'au-delà de sa tribu en compagnie d'un gnou, d'un chien en peluche et d'un chasseur qui partage son corps avec un cerf, chacune de ces deux épopées (relatées alternativement dans des chapitres appelés "leçon") nous immerge dans deux mondes ayant en commun le grotesque et l'épouvante, cela malgré la mise en valeur de cultures distinctes (on se demande finalement si la pire n'est pas la plus civilisée).
"Leçons du monde fluctuant" est l'occasion pour Jérôme Noirez d'aborder le thème des spectres, sa marotte en quelque sorte (il est l'auteur de « Encyclopédie des Fantômes et des fantasmes » (L’Oxymore, 2005)), mais aussi des sujets plus graves et inattendues (l'excision, et indirectement la condition des enfants).
L'écrivain ne ménage pas sa peine et il est fort agréable de lire un texte qui laisse transparaître un esprit cultivé, passionné par son sujet et qui laisse toute sa place à l'imaginaire!
Un roman initiatique comme le laisse supposer son nom, d'un genre particulier à la limite de l'expérience chamanique qui ne laisse pas indifférent !
Je vous conseille chaleureusement d'essayer de découvrir cet auteur qui, personnellement, m'a convaincu de renouveler l'expérience de le lire!